_ L’entrepreneuriat social pour construire “l’après”

_ Par Soazig Barthelémy

Illustration via le compte Instragram “Et après covid 19”

Repenser le monde qui nous entoure, transformer les incertitudes actuelles en occasions pour questionner et revoir nos modes de consommation, de production, notre engagement citoyen, envisager “l’après” comme tout sauf à un retour au “business as usual… La période actuelle est définitivement marquée par des envies d’évolution, de transformation, d’engagement pour faire bouger les lignes qui ne bougeaient pas suffisamment.

Une dynamique qui résonne fortement avec notre ADN à Empow’Her et le travail que nous menons quotidiennement pour aider des femmes à entreprendre le changement. Leur propre changement bien entendu, notre mission étant d’oeuvrer pour leur autonomisation en général, mais également celui de leurs communautés. Car parmi toutes nos actions, nous avons créé il y a quelques années un programme d’accompagnement entièrement consacré à celles que nous appelons “changemakers ou encore “entrepreneures sociales”. Celles qui entreprennent pour s’attaquer à (et surtout résoudre) de grands défis environnementaux et sociétaux qui les touchent et les concernent. Bref, celles qui voient leur entrepreneuriat comme un levier pour créer et diffuser de l’impact.

À l’heure donc où les appels se multiplient à penser “l’après” de cette crise sanitaire, sociale et économique, nous avions envie de vous en dire plus sur ce qu’est l’entrepreneuriat social et de vous donner des clés de compréhension et de décryptage de ce secteur si particulier qui, j’en suis persuadée, peut être source d’apprentissage et d’inspiration pour celles et ceux qui souhaitent construire un “après” différent. Et sait-on jamais… peut être devenir un.e changemaker à leur tour.



L’entrepreneuriat social, quesako ?

“L’entrepreneuriat social, en fait, c’est une entreprise qui a un impact positif ?”

En partie, oui. Si on se réfère à la définition donnée par la Commission Européenne notamment, une entreprise sociale est un acteur qui combine des objectifs d’impact à un “esprit” entrepreneurial (comprendre par là logique de marché ou lucrativité). Une structure qui fait du profit un moyen (au service de l’intérêt général) et non une fin en soi. J’ai souvent lu ou entendu que l’entrepreneuriat social était un entre-deux ou une sorte de somme entre le secteur marchand et le secteur caritatif. Une sorte de troisième voie qui offre un compromis entre ces 2 secteurs en en reprenant les attributs principaux (impact social d’un côté, fonctionnement business de l’autre).

Mais pour être honnête je n’ai jamais trouvé cette dernière description très satisfaisante… déjà car elle place le recours au marché, quel qu’il soit et quelle que soit son efficacité, comme une condition sine qua none à la qualification d’entreprise sociale. Alors que le potentiel de l’entrepreneuriat social dépasse justement la logique du business modeldans le seul sens du fonctionnement ou de la survie économique de l’organisation (préoccupation qui concerne par ailleurs n’importe quelle structure… y compris celles du secteur caritatif qui a besoin de ressources pour mener ses actions).

Et puis parce que cette définition réduit le secteur de l’entrepreneuriat social à une somme d’entreprises profitables qui produisent un impact positif. À des entités commerciales et non à des solutions systémiques. C’est le problème qu’évoque très clairement la professeure Daniela Papi Thornton dans son TEDx “Reclaiming Social Entrepreneurship”, une de mes vidéos cultes sur le sujet… (désolée pour les non-anglophones). S’il y a bien une chose à retenir de cette intervention, c’est que l’entrepreneuriat social vise à résoudre des problématiques sociales et/ou environnementales et non à les transformer en opportunités commerciales. Cette dernière partie est vue comme une conséquence, une possibilité, un moyen qu’un.e entrepreneur.e social.e se donne pour atteindre son objectif premier : réparer “our broken system”.

Reclaiming Social Entrepreneurship | Daniela Papi Thornton | TEDxBend

Quelques exemples que j’aime bien donner sur ce sujet :

Landesa

Une organisation qui oeuvre pour faciliter et garantir l’accès à la terre des plus précaires et qui fonctionne principalement à partir des dons qu’elle reçoit (Landesa a reçu l’Award for Social Entrepreneurship par la très sérieuse Fondation Skoll)

SamaSource

Ou de son équivalent français Isahit (deux entreprises sociales montées par des femmes !) qui commercialisent des prestations auprès d’entreprises tout en donnant de l’emploi à des personnes vulnérables et sans profession en se basant sur le modèle de l’impact sourcing.

Ciudad Saludable

“Ville Propre” en espagnol qui s’attaque à la pollution urbaine au Pérou en organisant et en professionnalisant les acteurs de la collecte des déchets (la plupart du temps des individus extrêmement marginalisés et précaires) et en passant des marchés directement avec les communes.

Mais du coup, qu’est ce qui caractérise un.e entrepreneur.e social.e ?

Je ne souhaite pas réduire la définition de l’entrepreneuriat social à ces quelques lignes et exemples…  et je suis bien consciente qu’il existe un tas d’autres référentiels qui encadrent ce qu’est ou n’est pas une entreprise sociale.

À commencer par la loi ESS passée en 2014 en France qui pose très clairement certains critères de gestion portant par exemple sur la gouvernance, l’affectation des bénéfices ou encore la politique de rémunération, et qui donne également une définition de ce qu’on entend par utilité sociale (utilité sociale comprise dans le sens du soutien apporté à des personnes en situation de fragilité, de la lutte contre les exclusions et les inégalités et du concours au développement durable, à la transition énergétique et à la solidarité internationale).

Mais après plusieurs années à construire et développer Empow’Her, à naviguer entre les étiquettes d’ONG, d’entreprise sociale, d’association ou encore d’entreprise, je me rends compte qu’il est souvent difficile de se définir selon une liste de critères. Et que bien qu’elle soit centrale et clé, la discussion autour du modèle économique biaise trop souvent la véritable mesure de ce qu’est l’entrepreneuriat social.

À titre d’exemple, Empow’Her, s’est développée sur un modèle économique que nous qualifions nous-mêmes d’hybride, c’est à dire qui associe à la foisdes revenus issus du mécénat (gérés par nos associations) à des revenus générés par nos prestations commerciales (gérés par nos entreprises). Ce modèle est celui d’un très grand nombre d’entreprises sociales que je connais et côtoie, même si sa complexité organisationnelle ne facilite pas toujours la lecture par l’extérieur.

En ce qui nous concerne, au-delà de nous rendre plus pérennes d’un point de vue économique, il nous a surtout permis d’aller plus loin dans notre proposition de valeur : d’abord en nous faisant réfléchir à la promesse d’empowerment que nous faisions à des femmes et qui était en fait le résultat de leur propre actions et décisions (d’où l’instauration d’une contribution financière symbolique qui fait de toute femme bénéficiaire la seule décisionnaire de son processus d’apprentissage), mais aussi en nous permettant d’élargir notre champ d’action en agissant auprès d’organisations tierces que nous avons commencé à considérer comme pouvant elles aussi contribuer au changement que nous visions.


Notre modèle et notre positionnement nous paraissent “simples” et clairs aujourd’hui, mais croyez moi, c’est le résultat d’années de travail et de tâtonnements qui nous ont permis de sortir de la logique économique pour elle-même, et d’entrer dans la logique économique en tant qu’élément structurant de notre proposition de valeur. Bref je pense que vous m’aurez comprise, le business model d’une organisation à impact n’est à mon sens pas suffisant pour trancher catégoriquement sur son appartenance à un secteur en particulier. Il existe cependant des caractéristiques propres aux entrepreneur.e.s sociaux.ales dont une qui doit paraître évidente mais qu’il est essentiel de rappeler : l’entrepreneuriat social est résolument for impact et non simplement with impact.

J’entends déjà celles et ceux qui pourraient vous rétorquer “mais telle entreprise X a aussi un impact dans la mesure où elle crée de l’emploi”. Oui c’est vrai, toute entreprise qui emploie, distribue des services nécessaires à une partie de la population, ou produit des biens qui serviront d’une manière ou d’une autre a de l’impact. Qualifier une structure d’entreprise sociale ne vaut pas exclusion du reste des entreprises ne répondant pas aux mêmes critères et assignation à une étiquette “sans impact” ou “anti social”. Ceci dit, il existe de réelles différences dans l’orientation de la mission d’une structure et dans la hiérarchisation de ses objectifs.

Les entrepreneur.e.s sociaux.ales que j’ai eu la chance de croiser sont dédiés à 100% au problème auquel ils ou elles s’attaquent (et par problème j’entends bien entendu un problème social ou environnemental relevant d’inégalités, d’injustices, de publics fragiles et vulnérables…). Leur entreprise est un moyen, la création de valeur se mesure par rapport à l’impact généré, leurs décisions sont orientées afin de maximiser ce même impact social ou environnemental. Bref on revient encore à Daniela Papi Thornton, mais ces personnes chercher à réparer “our broken system” et non à créer une entreprise à tout prix.


Ne commencez pas par la solution. Commencez par le problème.

“J’ai une bonne idée pour changer le monde, par où je commence ?”

Si c’est le cas, c’est super (et si non, pas grave, il existe 1000 autres manières d’avoir un impact dans ce monde…) ! Dans tous les cas, si vous ne devez retenir qu’une chose de cet article, c’est la suivante : ne tombez pas amoureux.se de votre idée ou de votre solution, mais du problème à résoudre. J’ai martelé cette phrase à de nombreuses reprises mais c’est vraiment le meilleur conseil qu’on m’ait donné et que je puisse aujourd’hui transmettre à d’autres. Une bonne idée reflète toujours une compréhension approfondie du problème auquel elle cherche à répondre. Ses chances de succès sont d’autant plus élevées qu’elle a été élaborée sur la base d’hypothèses claires et plausibles. Une bonne idée dépasse systématiquement le stade des bonnes intentions… 

Le parfait exemple que j’ai découvert l’année dernière sur ce sujet est celui de J.K Rowling et de son organisation “Lumos”. Au début des années 2000, J.K Rowling découvre les mauvais traitements réservés à des enfants placés en orphelinat en Europe de l’Est. Elle décide alors de s’engager contre “l’institutionnalisation” des enfants et crée sa propre organisation (qui prendra le nom de Lumos quelques années plus tard). Mais surtout elle mène des recherches, interviewe les principaux.ales concerné.e.s et met en lumière des statistiques essentielles qui permettront de contextualiser, de comprendre les problèmes créés ou aggravés par le phénomène d’institutionnalisation et de prendre en compte les causes profondes qui poussent des familles à se séparer de leurs enfants. Les solutions mises en oeuvre par Lumos se fondent toutes sur une compréhension extrêmement fine du problème et des besoins des bénéficiaires. Leur dernière campagne #HelpingNotHelping qui dénonce le tourisme dans les orphelinats est à ce titre extrêmement poignante et efficace. Lors de la conférence où j’ai découvert Lumos (et redécouvert J.K Rowling), j’ai été bluffée par la justesse et la puissance de leur proposition de valeur et de l’engagement de cette organisation pour réparer “our broken system”. 


Quelques outils pour vous aider à comprendre le problème auquel vous voulez vous attaquer

Tout ceci étant dit, par où commencer ? Comment faire pour cerner le problème qui vous interpelle, vous concerne peut-être, et auquel vous souhaitez vous attaquer ? Il existe un certain nombre d’outils pour vous aider sur cette voie, j’ai choisi de vous en présenter 3 qui sont complémentaires et m’ont été particulièrement utiles à plusieurs moments de la vie de Empow’Her :

1# L’impact gaps canvas

Outil développé par Daniela Papi Thornton (oui encore elle je sais mais elle est vraiment top !) que je trouve vraiment très bien fait et très utile pour s’assurer de bien comprendre et connaître un problème avant de se lancer dans le design de solutions. La feuille est divisée en 3 parties : une partie permettant de cartographier le problème, une autre dédiée à l’identification des solutions et à leur évaluation (ce qui marche et ce qui ne marche pas), et une troisième partie consacrée à l’analyse des “impact gaps” c’est à dire les écarts qui persistent entre le problème actuel et les solutions déjà mises en oeuvre.

2# La carte d’empathie

Outil très répandu dans les cercles de Design Thinking qui vous aidera à vous mettre dans la peau de vos utilisateurs.rices ou de vos bénéficiaires et à construire vos “personas”. La carte est divisée en 4 parties qui reflètent 4 aspects de l’expérience utilisateur (ce que l’utilisateur ressent, dit, fait et pense). Il existe beaucoup de modèles plus complets qui incluent également des espaces pour décrire ce que la personne voit et entend ainsi que ses problèmes / frustrations et ses besoins / bénéfices. Vous trouverez un canvas en lien dans la partie ressources à la fin de l’article.

3# L’arbre à problèmes

outil assez simple à construire qui vise à déterminer avec plus de précision la chaîne de causalité d’un problème. Je fais fréquemment le lien entre cet outil et le conseil qui m’a été souvent donné au début de Empow’Her : poser 7 fois la question POURQUOI aux hypothèses que j’établis (pourquoi les femmes sont-elles cantonnées à de l’entrepreneuriat précaire ? pourquoi y a-t-il des barrières à l’entrée du secteur entrepreneurial ?…). L’arbre à problème permet de différencier les causes, des conséquences, du problème en lui-même et de synthétiser votre analyse de manière efficace.

Autrice : Soazig Barthelémy, Fondatrice de Empow’Her

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Quelques ressources pour aller plus loin :

  • L’incontournable MakeSense qui propose en cette période de confinement énormément de contenus pour agir

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