Témoignage de Ouma, responsable développement Empow'Her au Niger
Comment est né le programme et le besoin d’accompagner les femmes en milieu rural ?
Ici au Niger, la situation des femmes dans le milieu agricole est complexe. Elles sont très peu propriétaires alors que c’est elles qui travaillent sur le terrain. Si le mari décède par exemple, elles sont tout simplement expropriées.
Les aider à obtenir les terrains ou les sécuriser pour les garder et faire une exploitation optimale est donc indispensable car l’agriculture est aussi un levier entrepreneurial pour elles. C’est un bon moyen pour s’émanciper. Dans la tradition, pour nourrir les familles beaucoup de femmes ont déjà leurs propres cultures car cela revient moins cher que le marché. Les femmes sont bonnes négociatrices et elles ont un sens inné du commerce ! Chaque zone du pays est spécialisée dans une culture. Cela fait vraiment partie de leur mode de vie. Nous capitalisons sur cette base solide pour construire notre accompagnement.
Dès 2019 nous avons collaboré avec nos partenaires RVO, la fondation RAJA et la fondation Veolia pour mener un projet test qui visait notamment à garantir l’accès pérenne aux terres aux femmes. Au départ nous accompagnions 50 femmes juste dans la région de Niamey sur les terres cultivables. Ensuite d’autres groupements ont été identifiés sur des zones que nous connaissions : Tahoua et Maradi. Connaître le terrain c’est important car cela facilite la prospection des terres. Les populations connaissent la structure et la confiance est déjà instaurée. Un bouche à oreille naturel se déclenche. Ainsi notre programme s’est élargi à plus de femmes accompagnées, 138 exactement.
Pourquoi le dispositif mis en place par Empow’Her a-t-il un sens pour ces populations de femmes ?
Les femmes ont tendance à souvent s’autocensurer et sont peu aidées par l’entourage. Elles se limitent à des micro activités ou à des activités visant à l’autoconsommation uniquement et elles ne vont pas au -delà alors qu’elles ont la capacité de grandir !
D’où leur besoin d’accompagnement et c’est là que nous intervenons. Au-delà de la famille ces femmes ont droit à un épanouissement personnel, à faire des choses pour elles et aussi mieux contribuer à la scolarité de leur enfants.
Nous les aidons à arrêter d’être en position de demandeuses ou d’attente et nous les positionnons comme des membres décisionnaires au sein des familles et des villages. Un autre regard se pose sur elles et cela leur donne plus d’opportunités pour participer à des décisions plus larges : aménagement dans le village, construction d’une école, organiser des foires…
Combien de femmes ont été aidées concrètement ?
D’abord nous allons rencontrer différentes femmes dans les zones et nous les interrogeons sur les activités commerciales et agricoles. Nous leur demandons ce dont elles ont besoin. En fonction des réponses que nous avons reçu, nous adaptons notre accompagnement. Puis un formateur de l’équipe se mobilise auprès d’elles pour déployer un premier cycle de formations théoriques : prix de vente, cahier de caisse, notions de commerce… Ensuite nous mettons en application concrètement les formations, vraiment en pratique, pour leur expliquer ce qu’elles doivent faire. Il ne faut pas faire un virage à 90° nous nous inspirons d’abord de ce qu’elles font et nous les aidons à s’améliorer.
Le formateur va sur le terrain pour observer et s’informer de la vie au quotidien et s’y adapter. Par exemple au début, nous demandions aux femmes de se déplacer à une école pour les formations mais les déplacements sont longs et certaines ne peuvent plus venir. Le formateur a alors décidé d’aller vers elles dans des espaces aménagés pour 2/3h. Les jours fixés ne doivent pas être des jours de marché. Nous avons ajusté un agenda pour arranger les formations afin qu’elles puissent se former sans perturber le programme. C’est important pour elles de continuer à être productives pendant la formation car elles sont très manuelles et elles ont besoin que les notions soient pratiques avant tout.
"Il ne faut pas faire un virage à 90° nous nous inspirons d'abord de ce qu'elles font et nous les aidons à améliorer."
Ouma – Responsable développement Empow’Her au Niger
Peux-tu nous parler d’un profil de femme qui t’a le plus particulièrement touchée ?
A Maradi, nous avons accompagné tout un groupement de femmes déjà dynamiques, elles avaient déjà cultivé un jardin qui appartenaient aux hommes de la famille. En moins d’un mois, elles ont trouvé un terrain avec la garantie du chef de village. Elles avaient tout préparé voir même anticipé une liste de choses dont elles avaient besoin.
Empow’Her a eu ici le rôle de soutenir des femmes qui avaient besoin du déclic et de savoir comment aller plus loin. Le déclic a créée les idées qu’elles ont ensuite mis en oeuvre. Nous avons été le moteur pour les faire avancer sur les démarches qu’elles avaient entreprises.
Aujourd’hui le terrain est aménagé, elles ont récolté des choux et de l’ail, un système d’irrigation a été mis en place. Nous sommes en train de les accompagner pour commercialiser leurs récoltes au-delà du marché local. Nous avons entamé des démarches avec des institutions de micro finance pour qu’elles aient accès à des ressources financières pour améliorer leur matériel et stock. Elles embauchent des personnes aussi pour aider à cultiver les terres !
Avec l’activité à Maradi, la présidente du groupement, Alimatou , nous disait “Mon mari ne s’attardera jamais à me présenter une deuxième femme ou à me répudier car c’est moi qui tient les rênes.” Elle embauche même ses fils pour cultiver et c’est eux qui vont vendre au marché !
Quels ont été les résultats visibles rapidement et quelles sont les prochaines étapes pour continuer l’accompagnement de ces femmes ?
A Tahoua et Maradi les terres sont à nouveau exploitables avec des femmes aux commandes. A Maradi des récoltes ont eu lieu avant la fin de la saison. Elles ont pu vendre leurs récoltes. Les femmes ont mis en application leurs formations pour mieux gérer leur caisse.
Nous allons surtout continuer car plus nous avançons plus les besoins sont grandissants. Beaucoup reste à faire. Nous avons mis en place un jardin expérimental dans la commune de Kirkissoye, non loin de Niamey, dont l’objectif est de pouvoir enseigner les techniques de maraichage à davantage de femmes voire même de formateurs.rices. Afin qu’elles puissent reproduire le modèle à proximité chez elles.
Les deux dernières années nous ont permis de tester et d’ajuster nos méthodes d’accompagnement. Le projet pilote touchant à sa fin, nous prévoyons de continuer à travers le projet « PERENIA » qui est un projet de passage à l’échelle de Women Grow. Avec PERENIA nous comptons accompagner jusqu’à 8 000 femmes sur 3 ans. Nous soutiendrons des groupements de femmes soit à travers du renforcement de compétences soit à travers un soutien plus complet : les aider à sécuriser un accès durable à un terrain, leur donner accès à des débouchés commerciaux…
Comment vois-tu évoluer les choses au Niger ? Quelles sont les règles pour réussir une action auprès des femmes au Niger ?
Au Niger, il est difficile d’atteindre les femmes en milieu rural car ce sont des zones ou elles n’ont pas de téléphone encore moins de smartphone ou de réseaux sociaux.
Nous faisons donc des partenariats avec des structures locales pour pouvoir les identifier et les rencontrer, comme les mairies, la préfecture, d’autres ONGs. Il faut beaucoup leur parler. Nous parlons aux autorités locales pour être impliquées dans les démarches et faire circuler l’information. La radio est développée dans les zones locales, c’est un bon moyen de se faire connaître des populations.
Il faut aussi impliquer l’entourage, le mari, le père et les parents. Il ne faut pas donner l’impression qu’on éloigne les femmes de la communauté. Il faut faire comprendre que nous sommes là pour aider les femmes à avoir un impact sur la communauté. C’est important aussi d’avoir des points focaux qui sont du village pour être dans la proximité avec elles.
Nous pouvons les aider à se développer au-delà des notions de l’agriculture et les aider à s’émanciper sur d’autres activités. Ça n’empêche pas les femmes de rester impliquer dans la communauté. Il faut briser ces aprioris. Elles et leur entourage doivent comprendre que le fait de gagner plus d’argent ou une activité moins laborieuse ne vient pas à l’encontre de leur famille.
Qu’est-ce qui selon toi pourrait être encore mieux fait pour aider les femmes sur place ?
Les choses bougent un peu au Niger mais si cela reste encore difficile de faire accepter le changement. Mais les femmes sont de plus en plus conscientes de leur valeur et elles l’acceptent. Elles ne sont pas obligées de tout faire.
Pour Empow’Her et son action terrain, ce n’est pas forcément faire plus, c’est davantage construire des programmes dans la durée et faire mieux dans le temps. Car prendre confiance en soi ça prend du temps. Il faut laisser une porte ouverte pour continuer de guider les femmes. Qu’elles ne se sentent pas livrées à elles-mêmes après le programme.
Nous devons également les aider à dépasser les barrières d’accès aux banques qui demandent encore aux femmes les garanties du mari. Le changement doit venir de part et d’autre : les familles aussi doivent changer leur regard sur le statut des femmes au sein des communautés.
"Les femmes sont de plus en plus conscientes de leur valeur et elles l'acceptent."
Ouma, Responsable développement Empow’Her au Niger
Si on veut aider une femme au Niger ?
Il faut les encourager. Des femmes agricultrices il y en a en France. Même si c’est moins pénible physiquement peut-être, en tant que femmes agricultrices nous avons les mêmes problèmes partout. Nous pouvons nous entraider. Une femme agricultrice reste une femme agricultrice. C’est un monde masculin mais il faut croire en soi et en ses capacités. Nous sommes capables !
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